Au cœur de la télédétection par satellite : l’équipe Ayana de l’Inria

Cet article évoque les travaux de Jules Mabon (Doctorant), Camilo Aguilar (Postdoc) et Josiane Zerubia (Directrice de recherche), en collaboration avec Mathias Ortner (Expert senior en data science et intelligence artificielle chez Airbus D&S). Il a été écrit par Louis Hauseux (Ingénieur de recherche) et Josiane Zerubia.

Le secteur aérospatial a été bouleversé au début du XXIe siècle par ce que l’on a appelé le New Space, c’est-à-dire l’irruption d’intérêts économiques privés dans le domaine spatial où les états détenaient autrefois un monopole. Il est depuis lors en pleine extension et connaît de nombreuses mutations. Mutations économiques, donc, inséparables de mutations technologiques : tant au niveau des capteurs (IRT non refroidi, Ultra-Violet lointain etc.), des systèmes embarqués ou des satellites eux-mêmes.

L’équipe exploratoire Ayana de l’Inria, dont une partie des ressources provient du contrat LiChIE signé en 2020 avec Bpifrance et Airbus D&S, est dirigée par Josiane Zerubia et s’occupe de traitement d’image pour la télédétection. Airbus D&S fournit à l’équipe Ayana des images ou de courtes séquences vidéo obtenues par les satellites des constellations Pléiades, Pléiades Neo ainsi que des simulations de CO3D (pour COnstellation 3D), la constellation qui devrait être mise en orbite en mars 2024 – nous allons revenir sur cette COnstellation-3D. Pour donner un exemple du type de données qu’Ayana reçoit : les deux satellites Pléiades Neo, depuis leur orbite polaire héliosynchrone à 620 km d’altitude, prennent des images sur 6 bandes spectrales d’une très haute résolution native (30 cm pour la panchromatique) avec une fauchée de 14 km. Lorsque d’autres satellites fournissent des données vidéo, leur rafraîchissement peut varier entre 1 et 60 Hertz (les satellites de CO3D seront d’ailleurs dotés de capteurs matriciels qui permettent la capture vidéo).

L’équipe Ayana conçoit des programmes informatiques à partir de modèles stochastiques et d’apprentissage profond visant à automatiser le plus possible la détection d’objets d’intérêt tels que des véhicules présents sur de telles images. Dans le cas des vidéos, le défi est double : il s’agit non seulement de détecter les véhicules qui apparaissent, mais encore de les suivre à la trace jusqu’à ce qu’ils disparaissent de la vidéo. Pour ce faire, les chercheurs d’Ayana mettent au point des solutions originales et spécialement appropriées aux problèmes qui lui sont posés.

On imagine aisément les nombreuses applications, tant civiles que militaires, permises par ce genre d’imagerie satellitaire.

S’inscrivant dans la logique du New Space, et afin de pouvoir répondre à des publics différents (notamment des acteurs privés), le CNES a initié en 2019 le programme CO3D. Le lancement de cette constellation comportant quatre satellites à faible coût est prévu pour mars 2024. La réalisation en a été confiée à Airbus D&S. Une fois en orbite, la constellation fournira des images tridimensionnelles et multi-spectrales (rouge, vert, bleu ainsi que proche infrarouge, ou NIR en anglais ; bande spectrale particulièrement utile pour l’observation de la végétation). La résolution sera de 50 cm pour les bandes-couleurs, 1 m pour le proche infrarouge. La reconstruction tridimensionnelle des images permettra d’obtenir une « résolution verticale » de 1 m. Ces données pourront aussi bien servir à la France pour des applications duales (notamment celles requérant une cartographie 3D) qu’à des acteurs internationaux via la filiale Airbus D&S Geo.

C’est avec le même souci de s’adapter aux nouvelles demandes toujours plus exigeantes que l’Inria a signé en 2020 le contrat LiChIE avec Bpifrance en collaboration avec Airbus D&S impliquant huit de ses équipes dont Ayana. Cette dernière reprend la suite de l’équipe Ayin, également dirigée par Josiane Zerubia, dont le contrat avec Airbus D&S sur un sujet de recherche proche était arrivé à terme à la fin de l’année 2015. Les modèles stochastiques de suivi d’objets proposés par l’équipe Ayin supposaient que lesdits objets ne subissaient pas de trop fortes accélérations ; ces modèles se sont révélés insuffisants lorsqu’il a fallu se mettre à suivre des « go fast cars » ou autres « speed boats ».

L’équipe exploratoire de recherche Ayana a développé une nouvelle méthodologie de détection et de suivi de véhicules. L’attache aux données ne consiste pas en la simple localisation des objets d’intérêt : ces objets étant des véhicules, l’on détermine aussi leurs dimensions et leur orientation. L’idée est alors d’introduire une certaine fonction de coût qui rende compte non seulement de la bonne localisation des véhicules, mais aussi de considérations d’ordre géométrique. Voici un bref résumé du protocole :

  • pour la localisation, l’on recourt aux méthodes classiques d’apprentissage profond (par des réseaux neuronaux convolutifs, ou CNN en anglais). Ceci constitue l’attache aux données ;
  • on introduit des a priori sur les configurations géométriques qui pénalisent des situations jugées peu vraisemblables comme des véhicules qui se superposeraient ou n’auraient pas des dimensions admissibles. Au contraire, on peut grâce à d’autres a priori privilégier certaines configurations où des voitures proches sur une même route seraient bien alignées ;
  • il s’agit alors de trouver la solution (localisation + configurations) optimale, c’est-à-dire qui minimise la fonction de coût tenant compte de l’attache aux données et des a priori. Le calcul stochastique (et notamment un certain type de chaînes de Markov) nous permet d’en chercher une approximation.

La procédure mise en place pour le suivi des objets juxtapose de la même manière des outils d’apprentissage profond (ou deep learning) et d’autres tirés du calcul stochastique.

Cette stratégie originale a fait ses preuves et l’ « état de l’art » s’en est vu amélioré pour des situations jugées difficiles (ainsi de la détection de véhicules au niveau d’une zone d’ombre ou du bon suivi de véhicules au sein d’un trafic routier intense, avec de nombreuses intersections ou ronds-points).

Le lecteur peut s’en faire une idée en allant consulter les publications récentes de l’équipe Ayana à retrouver sur sa page internet (cf. le lien ci-dessous).

Un logiciel produit par Ayana de détection de véhicules et de leur suivi sera transféré à Airbus D&S pour être éprouvé dans le cadre de leur suite logicielle Open source PESTO. À terme, le but est que ce logiciel soit intégré à bord de l’un des quatre satellites de CO3D.

Jules Mabon en train de comparer les résultats de différents algorithmes de détection de véhicules

Liens :
https://team.inria.fr/ayana/
https://team.inria.fr/ayin/
Contact :
Josiane Zerubia
Inria, Université Côte d’Azur, France
josiane.zerubia@inria.fr
(+33)
4-92-38-78-65